L’île batailleuse débute par une errance. Koenig, un jeune déserteur, fuit l’Afrique et la Légion. Débarqué sur les côtes françaises, il marche à l’aventure. A l’instinct, il progresse en diagonale, jusqu’aux portes de l’Ouest, au pays des haies et des bosquets. En dépit de l’hospitalité ambiante, le bocage n’est pas un pays de Cocagne. Intégrés au paysage normand, des îlots urbains, déserts ou pétrifiés, l’émaillent d’éléments louches. Ces vallons et collines ponctués de hameaux enfouis, de bourgades désertiques, ressemblent à une terre inconnue, isolée au bout du monde. Un émerveillement d’explorateur s’empare de Koenig, et même un œil de paysagiste. La sophistication du paysage nourrit son imagination. Les recoins et solitudes du pays, au charme de jouets et de maquettes, le prédisposent à une effervescence encore sans objet. Koenig commence à imaginer le paysage ; simultanément, il le contemple et le fantasme. Le paysage artiste révèle Koenig à lui-même, et ce bouleversement décisif va connaître un développement fulgurant. Chez une jeune bohémienne qui l’héberge après leur rencontre loufoque dans une prairie, Koenig découvre une peinture accrochée au mur. L’œuvre a sur lui l’effet d’une révélation. Ce tableau est le détonateur et le tournant du récit. Les événements vont concourir à la naissance du peintre Koenig, et son entrée en peinture sera au centre du roman. Les expériences les plus insaisissables de la pratique, les aléas subtils ou triviaux de la peinture en actes, deviennent la matière d’un récit où les enjeux de création sont indissociables de l’intrigue. Au fond du bocage qui l’aimante, Koenig rejoindra des peintres, des maîtres, ses devanciers en peinture mais aussi en connaissance de l’Ouest profond. Car à l’instar de Koenig, ses aînés sont en fuite. Peindre se double alors, pour Koenig et ses compagnons d’aventure, de la quête d’un lieu idéal, d’un « rêve terrestre rêvé à pied », à la fois phalanstère inspiré du projet de Van Gogh et décor de cinéma habitable. Un coin de terre où l’Ouest et l’Art fusionneraient dans une parcelle élective. Roman de peintre où Nicolas Rozier évoque en terrain de connaissance les luttes concrètes de l’artiste aux prises avec ses couleurs, ses sujets et compositions, L’île batailleuse est un roman hanté par la recherche d’un cadre de liberté et de splendeur singulière. Une liberté express, inconditionnelle, dans un paysage artiste aux finitions de décors. L’intrigue se déroule en effet dans un bocage d’anticipation aux accents cinématographiques. Nicolas Rozier en a puisé l’exemple dans le parc Normandie Maine où il vit, paysage avant-coureur d’une aventure en puissance : celle racontée dans L’île batailleuse.
« Une vivacité, presqu’une joie, lui montait à la tête ; elle monta jusqu’au rire parce que la nature était belle, aimable jusqu’au burlesque. Dès la première bicoque, l’envie l’avait pris de soulever cet amas de planches combiné à des murs de bergerie, de s’interroger à voix haute en examinant cette maquette, jusqu’à l’apparition espérée, tête nue ou à casquette, du maquettiste. Koenig guetta les héros de cette douceur de vivre, ou, mieux, de cette lumière disponible, idéalement réglée pour la vie humaine, animale et végétale. »
Nicolas Rozier
Nicolas Rozier, remarqué pour ses textes dédiés aux poètes Francis Giauque, Jacques Prevel et Antonin Artaud est aussi l’auteur de trois livres de poésie dont Vivre à la hache paru en 2017 à L’Arachnoïde. Depuis 2021, il anime sur son site une série d’articles intitulée « Un garçon impressionnable » à la confluence de l’essai et de la critique. Après D’Asphalte et de nuée publié en 2020 aux éditions Incursion, L’Île batailleuse est son deuxième roman.
D'Asphalte et de nuée, Nicolas Rozier.
Roman. 320 pages.
D’Asphalte et de nuée débute comme une embardée, dans un récit âpre et tendu qui ne baissera plus de régime. Des adolescents, sans famille ni base arrière, sont capturés au hasard des routes, et le lecteur découvre avec Nols, le personnage principal, une bizarre et terrible détention. Prisonniers d’un bourreau invisible, un groupe d’adolescents se forme au cours des nuits de terreur. Les jeunes hommes se soutiennent et parviennent à s’échapper de ce bagne clandestin. S’engage une cavale à la recherche d’un asile où s’établir et vivre en liberté. Nicolas Rozier compose le septuor héroïque de ces rescapés lâchés au monde, traqués, en butte aux visions et rencontres propres aux friches et landes suburbaines. Tout ce qui advient à ces jeunes personnages les élance, les hausse d’une sorte de prestige galvanique. L’auteur pratique l’art subtil de martyriser ses personnages pour mieux en traduire la grandeur. Ils sont sept blessés magnifiques. Ceux que Nicolas Rozier nomme « les grands visages purs sans appel, les massacrés incorruptibles » montrent à vif leur patine inédite, leur éclat glorieux à mesure qu’ils se redressent. L’intrigue est aussi dense que distinguée par son hybridation de genres et d’atmosphères où le fantastique, l’horreur et le thriller se relaient d’un suspense à l’autre. L’influence majeure du cinéma bis transparaît dans la galerie de portraits atypiques. Certains visages aux attributs venimeux et capiteux ont le charme argentique d’une pellicule insolée. L’auteur prend un soin maniaque à chérir ses personnages, construits comme des emblèmes de fulgurance et de somptuosité.
« Adossés aux roches affleurantes, affalés en cercle au bord de ce bain secret, une grosseur nous pesa, au fond du gosier, dont personne n’osa l’expulsion. La beauté du lieu n’aurait su amadouer le coup dur mais du moins l’aveugla. L’irréalité de la situation étincelait dans l’eau pure. Pour résumer, nous étions, à cette heure précise, les moins invités à fouler cette planète. »