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Cher Nicolas,
J'ai achevé la lecture de ton roman de "mésaventure", "D'Asphalte et de nuée", et je me suis vu sorti de ce bain de prose remuante bien rasséréné, avec la ferme conviction que ton imaginaire trouve dans cette forme de texte un terrain de jeu dense et idéal. Ce qui me plaît dans cette œuvre tient dans les environnements que tu ne cesses de décrire et dont les métamorphoses servent autant d'enveloppe que de parcours aux figures cherchant l'incarnation que de berceau au travail de ton écriture. Narwik paraît moins un bagne clandestin qu'une maternité des oubliés où quelques individus réunis par la force de l'abandon égrènent en eux et entre eux un tumultueux désir d'arrachement. Cette poussée constitutive du récit conduit ton texte à épouser la richesse la dynamique du roman d'initiation, genre dont le maniement précis des codes rappelle combien il permet d'exploiter intensément le caractère des personnages pour leur faire éprouver le pire et le meilleur d'eux-mêmes. Ces ombres cherchant à faire lumière de leur condition, quel qu'en soit le coût, ne se doutent pas que fuir ne leur servira jamais à rompre avec l'étanchéité du corps. Les paysages défilent, les aspirent plutôt, se teintent du reflet de leurs humeurs, jusqu'à l'inéluctable, dépeints grâce à un style plein d'acuité dans lequel je reconnais une gémellité avec ton œuvre picturale. Tu y requiers la même violence et le même éclat, puis tu t'efforces constamment, mots après mots, touches après touches, à déployer l'étagement des nuances de matières et de tensions dont ils sont faits. Je reconnais bien évidemment certains emprunts- ton goût pour la série B, ses fulgurances esthétiques et rythmiques, ton attachement aux ambiances mystérieuses, à l'équivoque de certaines atmosphères mais aussi aux charmes luxuriants de l'utopie - mais ceux-ci sont plus le point de départ de (mes) rêveries personnelles que de références explicites- l'économie carcérale et l'époque de dépossession au début que commente ta description des cachots, des salles de torture et des jeunes aux abois m'ont autant fait songer à "Zéro de conduite" qu'à certains films d'Emilio Miraglia, de Sergio Martino ou de Dario Argento; pensées qui me reviennent avec l'évocation d'un obscur réalisateur italien, à la fin aussi dans les salles secrètes et menaçantes de la demeure de Rosalba, lieu également propice aux cérémonies rappelant presque l'exotisme de palais antiques tels qu'ils sont représentés dans certains péplums ou films de science-fiction. S'appuyer sur ces motifs et garder intacte ta fonderie de langage est une des forces de travail que tu mènes, car non content de donner au fond du roman sa nature de sujet concret, de permettre au lecteur de s'y accrocher, tu affirmes et remets au centre de l'écriture l'enjeu de trituration de la langue. Le titre résume assez bien ce parti pris d'ailleurs, l'éternelle opposition du sol au ciel te place dans la filiation "post-romantique-parnasso-décadente" qui n'est pas usurpée. Pour autant les changements de tonalité sont bien présents. L'arrivée à la montagne, par exemple, est un passage particulièrement intéressant où, moins soumis à la pression, les personnages commencent à se singulariser. La rencontre avec l'explorateur, assez belle, presque irréelle, à la faveur d'un bivouac nettement amélioré, te révèle sous un autre jour, et il ne me semble pas t'avoir déjà lu sur un ton allant vers l'humour, l'incongru voire le burlesque. Cette légèreté soudaine ne sacrifie pas pour autant la précision du vocabulaire et la minutie habituelle avec lesquelles tu composes les images. Tes descriptions enivrantes de la montagne renouent avec la grande tradition humaniste et romantique qui voyait dans ces jardins d'altitude situés entre les fonds de vallée verdoyante et la face décharnée des cimes, de vrais havres de paix. Je connais bien ces territoires, leurs représentations stéréotypées, leurs puissances symboliques...Nulle surprise de te voir aussi utiliser les ingrédients du conte, autre genre important au sein duquel s'épanouissent les récits d'initiation, et en transposer l'énergie que ce soit pour caractériser les personnages - Rosalba dans ses rôles de veuve, de nymphomane, d'artiste et de prêtresse-, donner quelque horizon à l'histoire- la promesse d'initiation d'Henkel- ou créer l'action pure- l'attaque de l'ours. Sacrée palette que ce roman dont je félicite la fraîcheur, qui pourrait néanmoins paraître difficile à suivre tant le cheminement à l'aveugle et le brouillard affectif qui impactent la petite troupe charpentent les pages. Bel assemblage de mots, belle suite de justes compositions, d'osmoses, qui ne cèdent jamais la structure du roman -bien saillante- contre d'absconses abstractions. J'ai toujours aimé te lire dans la prose. Ton appétence pour quelques personnes comme Artaud, Prevel ou Giauque, cette faculté qui t'est propre à mettre ton écriture au service de l'acharnement et du péril avec lesquels ils ont traversé leur vie, composé leurs œuvres, je la retrouve ici à portée des personnages, nourrissant leur contradiction d'aspirer aussi haut et de rester aussi bas, les faisant vivre leur liberté comme un sursis, comme une amplitude à la violente élasticité. Ce creuset de vallée aux atours séduisants devient le théâtre de leur tragédie rappelant qu'on ne se défausse ni des matières, ni du passé; nous sommes faits. J'ai été agréablement surpris par le résultat de ce travail éditorial. La couverture en jette, mais nous avions je me souviens déjà discuté de l'importance et de la liberté de faire éclater ta peinture de cette manière. Le format du livre et la mise en page sont très bien, la police, la taille des caractères, l'en-tête ont été travaillés, pesés et choisis avec soin. C'est agréable à manipuler et à lire. Jacques Cauda est écrivain, réalisateur de films documentaires, peintre et éditeur. ![]() Cher Nicolas, Dès les premières pages, le Nord (le mot) est venu vite jusqu’à moi. Monté comme des blancs en neige. Sans doute par les w et les k, qui sonnent viking… Narwik… Alliés à des photos vues il y a peu, photos faites par une amie qui a voyagé sept fois (dans sa bouche et) en Islande. Et le titre du livre de Céline qui a pourtant peu à voir avec votre d’asphalte et de nuée. Chez Céline le mot est musical, chez vous pictural. Il se mâche, se mange comme la peinture. J’ai toujours approché et rapproché la cuisine de l’atelier. La table : le tableau ! Le cuistot sort du néant l’animal mort comme le peintre sort son « objet » de son néant. L’un comme l’autre le donne à voir et à manger. Ne serait-ce pas aussi le sens de l’eucharistie ? Avale et tu verras ! Passé cette montée du Nord, j’ai dévoré. Appétit d’ado parmi vos ados. Avec ce paradoxe, celui d’être et au Nord et dans un roman terrifiant dont la géographie est toujours méditerranéenne, Espagne, Italie, France du sud. J’évoque ici Walpole, Radcliffe, Lewis, etc. Leurs romans gothiques et leurs châteaux de la subversion qui chez vous sont des terrains dit vagues, hangars, no man’s land… où sévissent les sévices ! Château de Barbe-Bleue, château de Lacoste, Sade raconté à l’enfant que je suis (re)devenu à vous lire. Délicieusement terrifié par vos ogres, eux aussi dévorateurs aux mâchoires frénétiques ! Noir récit pour ma pupille noire du qui-vive ! Pensée en alerte filant entre vos lignes tendues comme des rets. Après l’air normand et les forêts poisseuses, vous me conduisez, cher Nicolas, rue de Malakoff ! Avec Nettie nue sur le lit jambes écartées… Jeune fille en fleur prisonnière retrouvée (comme Albertine) qui à son tour va se retrouver mais à la montagne (Hautes-Alpes) parce qu’elle est plus minérale que l’arène de pierre, écrivez-vous. Que j’entends, à l’évidence, comme La reine de pierre (jeu vidéo pour ado) en écho à la conversation que nous avons eue samedi à Charenton sur vos figurines poussiniennes, moteurs à essence de votre roman gothique ! "Le Hameau" Avale et tu verras, ai-je déjà dit. C’est pourquoi vous démarrez votre Hameau (un décor de cinéma… murmura Henning) par un banquet, une danse des plats. Pour voir. Voir des images des films. L’œil du bourreau, La jupe et le caveau ! Des pellicules du genre fameux, le giallo. Du roman noir au film jaune ! Dario Argento et Mario Bava y excellent ; ils ont l’œil sur l’ondulante Rosalba Strebel virtuose des parois et des volumes. L’image avec la lettre et la lettre avec l’image (vaste programme !) au milieu desquelles j’ouis votre narrateur, deux points, ouvrons les guillemets : «Au milieu du chemin entre les lettres je me retrouvai par une forêt de béton sans recours et sans base arrière quoi ? un trou du fond du mur du fond ? la voix peut-être perdue ? ah ! dire cette forêt d’images féroces et âpres qui renouvelle la peur comme voir écrire la pensée ! Oh si bonne peur que mauvaise l’est à peine plus mais pour traiter du dire que j’y trouvai je dirai des choses que j’avais peine à imaginer mot vent flèche à l’assassin…. giallo je ne sais pas bien redire comment j’y entrai tant je fus plein de vigueur parlante en ce point où j’abandonnai la voix intérieure et j’entrai ! Je pris toutes les lettres et toutes les images qui furent comme jetées au ciel et de toutes les lettres et les images mêlées je fis des images-lettres entortillées ensemble tout autour de moi qui forçais mille mots à mille pattes et tant qu’une fumée couvrit mon corps de nouvelles couleurs du noir et du jaune qui firent pousser les mots les uns sur les autres sans détourner les yeux du trou et ainsi d’être au centre du milieu d’autour de moi… le narrateur… » Et ainsi infiniment, jusqu’au cri jusqu’aux flammes ! Merci cher Nicolas pour ces bonheurs de lecture.
"Une prose trépidante"
(...) Et j’entendais vibrer en te lisant l’équivalent des pièces les plus éruptives de Ligeti, les lignes hachurées et coupantes de Schoenberg dans ses œuvres pour piano. C’est donc une polytonalité de sons jouant en saccades de rythmes, et un dripping de plaies saignantes, de bosses bleues et noires. Un opéra où le vocabulaire, le phrasé, composent un récit secret remarquable derrière l’échappée en dérive d’une nef des fous aussi évocatrice de Bosch que de Penderecki, de Stanislas Rodanski que de Jean-Daniel Fabre - sans oublier Stig Dagerman et ses brûlures. Le roman n’étant plus qu’une forme marchandise trompeuse depuis jolie lurette, ton livre s’impose immédiatement pour moi comme un phosphore de chance, une étincelle de revie. La littérature bouge encore dans les remous et tourbillons de D’asphalte et de nuée. Où la jeunesse n’est surtout pas prétexte à fiction de l’enfance en âge d’or. Il n’y a guère que certains récits de Michel Bernanos ou de William Golding pour peindre le versant anthracite du paradis vert. Deux écrivains ont à mon sens relevé le roman en l’extirpant de la simple intrigue. Ce sont Julien Gracq et Maurice Fourré. Tu appartiens à cette fraternité de plume et de griffe où se combinent tous les éclats d’une prose qui se souvient des ressources de l’analogie dont le poème est la matrice. (...) Ton livre est fait d’une riche matière qui appelle de multiples lectures, fécondes je pense, élogieuses je l’espère. Merci à Hugues Robert pour sa note de lecture dense et précise.
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